Jeudi dernier, le 6/5, ma mère m’a appelée vers 16h. Mon grand père venait de mourir dans son sommeil. Nous l’attendions, pourtant la nouvelle est arrivée comme un choc. Sans réfléchir, j’ai sauté dans un taxi direction le pavillon, à Boulogne, pour retrouver ma chère Mamou. Arrivée devant le grillage, j’ai jeté un bref coup d’oeil à mon ventre et à mon fils avant d’appeler mon cousin Thomas pour lui demander si Papi serait là, dans le salon, mort. Rassurée de le savoir dans la chambre, à l’abri de mon regard, je suis donc montée et ai pris ma grand mère et ma tante dans mes bras.
Le rabbin que nous avons choisi pour nous accompagner dans cet évènement m’avait mariée deux ans plus tôt et me connaissait donc bien. Il demanda à Mamou si je voulais faire un discours. Elle lui expliqua que j’attendais mon premier enfant et que je devrais donc rater l’enterrement. Pas de discours, donc. Suite à cela, il demanda à chaque petit enfant, chaque enfant (mon grand père avait deux filles, sept petits enfants et deux arrières petites filles) et aux proches d’écrire et lui envoyer quelques mots sur lui, le grand André Adamsbaum, afin de les incorporer dans son discours.
Voici ma lettre :
Mon grand-père était pour moi la France entière, le genre d’homme auquel j’aspire pour mon fils. Si la tradition veut que ma grossesse m’empêche de rentrer dans le cimetière pour protéger, envers et contre tout, la vie, j’ai réfléchi à ce message avec mon fils en tête. Un jour je lui expliquerai qui était son arrière grand père, et voilà ce que j’en dirai.
J’imagine que toutes les petites filles parlent de leur grand-père comme d’un modèle de sagesse, de bravoure, d’humanité, un héros avec lequel nous créons des liens si particuliers. Le mien a survécu une guerre mondiale, un génocide contre notre peuple dont il est sorti avec ses parents et sa soeur, plus vaillant et Français que jamais. Il n’a plus jamais trouvé sa place dans la religion mais ne s’en est jamais vraiment éloigné non plus. Et comment peut-on vivre autrement qu’en Juif français quand on s’appelle Adamsbaum? Quand on porte l’héritage ashkénaze d’une famille franco polonaise…
Comme mon autre grand père Bernard, comme mon père, Papi Andre a fait l’X. C’était un ingénieur et il en était fier, un homme brillant, logique, terre à terre. Mais je ne l’ai jamais connu comme travailleur alors pour moi, ces histoires sont des légendes. Mon grand père était surtout un intellectuel, un amoureux d’art brut, d’art africain, de photographie (la sienne uniquement), de poésie et de musique classique. Il aimait impressionner les femmes, sa femme surtout et ses filles aussi. Il a tellement impressionné ma mère avec l’art qu’elle en a fait son métier. Il a tellement impressionné ma grand mère qu’elle ne l’a jamais quitté. Et je la comprends. Je l’imagine jeune, avec ses petits yeux bleus et sa grande carrure, sa confiance en lui et son intellect, face à ma petite Mamou, cette juive Turque fraichement arrivée du Maroc qui ne quittait jamais les jupons de son frère Henri.
De leurs bureaux à leur appartement et jusqu’à sa mort, pendant 67 ans, ils étaient collés, un modèle de fusion. Je ne crois pas les avoir jamais vus séparément. Tout tournait autour de leur couple. Si nous ne sommes pas tous d’accord sur ce sujet, c’est ça, pour moi, le plus beau modèle d’amour. Rien, jamais, n’a dépassé leur couple. Rien n’importait sinon leur bonne communication, leur bonne entente. Pendant 67 ans, c’est leur amour éperdu l’un pour l’autre qui les a tenus, main dans la main. Il a attendu d’atteindre cet anniversaire (il est mort le jour de leur 67ème anniversaire de mariage) pour lâcher cette main et rendre son dernier souffle.
Mamou et moi avons fait le calcul, il me reste encore 57 ans à tenir avec mon mari pour tenir le flambeau. Alors je n’ai pas fait l’x, ni de grandes études, mais voilà comment je vais honorer la memoire de mon grand père! Ça et en suivant ce qu’il m’a toujours demandé, de perpétuellement travailler mon oeil pour l’art, qu’il trouvait aiguisé.
Papi m’envoyait régulièrement des citations par email. Je crois qu’il en recevait une par jour. Souvent, ces citations avaient un lien avec une conversation que nous avions eue ou un évènement que je traversais. En les relisant pour écrire ce mot, je me rends également compte de l’optimiste imbattu qu’il était. J’en ai sélectionné deux:
Un regard d’enfant est indispensable à tout acte créateur. Lorsque vous perdez l’enfant qui est en vous, la pensée s’encroûte, effaçant insidieusement la surprise du premier regard ; Trouvé dans "Mon père et ma mère" Aharon Appelfeld
Si vous n'êtes pas heureux, comportez-vous comme si vous l'étiez. Le bonheur viendra plus tard. ; Isaac Bashevis Singer (1902-1991)
Voilà le discours entier du rabbin, enregistré par un de mes cousins lors de la cérémonie : Lien Soundcloud